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La Clochette fêlée !
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7 septembre 2008

Le Pantin

Paris, le 6 juin 2006

Hier soir, Max, Térence et moi avons fêté la fin des partiels. Nous nous sommes retrouvés chez Max en début de soirée. Térence a sorti de son sac une bouteille d’absinthe que son frère lui avait envoyé d’Espagne, où le poison est encore en vente, sous une forme légèrement adoucie. La fée verte, comme le surnomment les amateurs, m’a fait l’effet d’un stupéfiant. Lorsque l’alcool m’a coulé dans la gorge, de violentes bouffées de chaleur m’ont mis le feu aux joues. Les autres ont mis en doute ma virilité lorsque j’ai déclaré en avoir assez ! Avant de partir au Caveau, nous avions pourtant fini la bouteille ! Mon corps était bouillant, j’étais prêt à tous les excès, le jazz me traversait le corps. Dans la pénombre de la salle de jazz, je me frottai à une jeune fille inconnue et me rappelle avoir lancé de longues œillades à d’autres. La boîte était bondée, tout le monde fêtait la fin des examens, Max et Térence s’étaient eux aussi éparpillés en désordre dans le bar. Nous avons perdu tous nos repères ainsi que la notion du temps, chacun virevoltait gaiement de son côté mais jamais je ne me suis tant amusé de ma vie, jamais non plus je n’ai séduit avec tant de facilité ! Il était déjà quatre heures ce matin lorsque j’ai repris le chemin de l’appartement. Dans la soirée, j’ai fini par égarer complètement Max et Térence. Mes idées commençaient à s’éclaircir, mais j’étais encore assez saoul pour ne pas ressentir la fatigue. Une lueur m’a attiré vers une lucarne, dans ma rue : il s’agissait de la boulangerie où j’avais coutume de me rendre. J’ai frappé à une porte dérobée. Le boulanger, en tablier, a consenti à me vendre quelques viennoiseries.

J’ai tourné dans la rue du Chat-qui-pêche, le raccourci est hasardeux, mais cinq minutes plus tard, j’étais au pied de l’immeuble. L’esprit encore troublé, je suis allé prendre une douche dès mon arrivée. La fraîcheur de l’eau sur ma nuque a dissipé les dernières vapeurs de l’alcool. L’appartement est encore très humide. La dernière facture de chauffage était très lourde, aussi j’essaie de ne plus le mettre que quand mes os eux-mêmes ne parviennent pas à se réchauffer et qu’aucun pull ne peut plus rien faire pour eux ! En rentrant, j’ai tout de même ouvert les robinets. Le bruit de l’eau dans les canalisations m’a rappelé la source près de laquelle j’allais rêver, enfant, non loin de la maison de ma grand-mère, dans un petit village de Normandie. Je me suis assis un instant sur le balcon, les fesses bien au chaud sur le radiateur et j’ai savouré la tranquillité nocturne de la rue de la Clef, d’habitude si bruyante. La journée, la rue est encombrée d’une faune hétéroclite de jeunes skaters, d’adolescentes gothiques, d’homosexuels assumés et de bourgeoises à foulards venues se procurer le dernier vêtement à la mode pour leur rejeton. Mais ce soir, il n’y a pas un bruit, on entend simplement le bruit métallique des chats fouillant dans les poubelles de la rue.

Un ressort a percé le canapé qui me sert de lit et de coin salon, et sur lequel je suis assis, il faudra vraiment que je m’occupe de ça ! Mon dieu, je…Devant moi…Devant moi, le pantin…le pantin a bougé, le pantin danse au ralenti, c’est…Il bouge, je, le pantin que ma sœur m’a offert, une antiquité. C’est un Pinocchio en bois, avec un bonnet rouge. Il a bougé les jambes et les bras au ralenti comme pour une danse macabre…J’ai dû rêver, je ne sais pas, la bleue peut-être…A moins que…Il me semble qu’il s’est arrêté.

buveur_d_absinthe2Le buveur d'absinthe, J. d'Esparbes.

Je suis allé reprendre une douche pour me rafraîchir les idées. Quel bien ça fait ! Je me sens beaucoup mieux à présent, dégrisé. Quelle frayeur ! C’est la première fois que j’ai une hallucination ! Quelle angoisse de voir un objet familier devenir en un instant une menace ! Je l’aurais presque jeté par la fenêtre, mais la raison m’a retenu au dernier moment, c’est quand même un cadeau d’Agathe ! Maintenant que je peux le regarder, je me sens tellement bête… Il mesure à peine cinquante centimètres, il doit être en chêne. Seul, son regard fixe, obstinément rond, me perturbe toujours lorsque je le croise. Il a, non, je dois rêver encore…Il a bougé le bras ! Il bouge le bras, il me regarde de son œil obstinément fixe… Son œil rond a jeté en moi un froid glacial…

6 heures 06

Je suis allé marcher une heure à la citadelle. Vite, vite, j’ai aligné les pas pour éclaircir mes idées une fois pour toutes. Le vent soufflait fort dans les platanes, la morsure du froid me piquait les joues. Les premières lueurs du jour apparaissaient déjà lorsque je suis rentrée. On entendait des merles siffler. Fourbu, complètement dégrisé, me voilà enfin rentré. Je suis tellement bien sous mon duvet (enfin dans mon lit !) que je n’ai cure des ressorts qui traversent le matelas ! Mais, non, ce n’est pas possible…C’est pas vrai…Il bouge encore ! Je jure qu’il a bougé ! Son bras gauche, d’abord, a dessiné un cercle dans l’air, et son index a pointé dans ma direction ! Puis tout son corps de bois s’est mis en branle, il s’est mis à décrire des mouvements lents, comme une marche militaire avec un côté dansé inquiétant..Je le jure, je jure qu’il a bougé ! Son regard fixe sur moi, mon Dieu, son regard fixe et froid ! L’air est irrespirable ici, il fait tellement lourd, ça sent la mort comme dans un caveau, mon Dieu comme je déteste cet air-là…

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